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19 mai 2006 5 19 /05 /mai /2006 17:21









Marre de Wal-Mart ?

Kenneth Rogoff



Voulez-vous savoir quel vidéo-clip fera bientôt trembler les décideurs du monde entier ? L'économiste Thomas Holmes, suivant un scénario qui ressemble de façon troublante à la diffusion d'une épidémie mondiale, a préparé une simulation cartographique dynamique montrant l'expansion des magasins Wal-Mart aux États-Unis. En commençant par l'épicentre à Bentonville, dans l'Arkansas, où Sam Walton ouvrit son premier magasin en 1962, les big-box stores [magasins-boîtes] géants Wal-Mart se sont maintenant multipliés au point que l'Américain moyen vit désormais à moins de sept kilomètres d'une de ces boutiques.

Il est intéressant de noter que les magasins évoluent à la manière des pétales d'une fleur qui s'épaississent et s'étendent. Plutôt que de sauter directement jusqu'aux côtes, puisque 80% des Américains vivent dans un rayon de 80 km de l'Atlantique ou du Pacifique, Wal-Mart s'est étendu de façon organique par le biais d'une chaîne de fournisseurs en constante expansion. Même si chaque nouvelle boutique vole une partie de la clientèle des magasins Wal-Mart établis dans les environs, l'efficacité des approvisionnements en constante amélioration contribue à maintenir la croissance globale de la chaîne.

Qu'on l'adore ou qu'on le déteste, Wal-Mart est indéniablement l'exemple parfait des coûts et des bénéfices de la mondialisation moderne. Les consommateurs y dépensent considérablement moins que dans des magasins traditionnels. Par exemple, les économistes considèrent que l'alimentation chez Wal-Mart coûte 25% moins cher que dans une chaîne de supermarchés ordinaire. La différence de prix pour de nombreux autres produits de consommation est encore plus grande.

Voyez l'étonnant fait suivant : avec quelques autres magasins du même style : Target, Best Buy et Home Depot, Wal-Mart compte pour environ 50% de la hausse de productivité tant vantée de l'Amérique par rapport à l'Europe au cours des dix dernières années. Cinquante pour cent ! Et le même genre d'avancées parmi les chaînes de grossistes compte pour 25% supplémentaires ! L'idée que les Américains sont devenus meilleurs en tout pendant que les autres pays riches stagnaient est donc très erronée. Le miracle de la productivité américaine et l'émergence du commerce de style Wal-Mart sont pratiquement synonymes.

Je n'ai rien contre ces grands hypermarchés. Ils sont une aubaine pour les consommateurs à bas revenus, et compensent en partie la croissance tiède des salaires dont beaucoup d'entre eux ont pâti au cours des deux dernières décennies. Et je ne suis pas d'accord avec certains de mes amis qui snobent les magasins Wal-Mart et prétendent n'y avoir jamais mis les pieds. En tant que consommateur, j'adore les big-box stores. C'est aussi certainement le cas des partenaires commerciaux de l'Amérique ; Wal-Mart à lui seul compte pour plus de 10% de toutes les importations américaines depuis la Chine.

Mais j'émets quand même quelques réserves quant au modèle Wal-Mart utilisé comme schéma directeur de la croissance mondiale. Tout d'abord, il y a la question de son effet sur les travailleurs à bas salaires et sur les détaillants plus petits. Les enquêtes révèlent que, tout en restant dans la légalité, ses politiques sociales exploitent des lacunes de la réglementation qui, par exemple, lui permettent d'échapper au fardeau des frais de santé pour de nombreux employés (Wal-Mart fournit une couverture de santé à moins de la moitié de ses employés). Et l'arrivée de ces hypers dans une communauté écrase les détaillants établis de longue date, et transforment souvent leur personnalité de façon impressionnante.

Oui, jusqu'à un certain point, c'est le prix du progrès. Mais la perte de l'esthétique et de la communauté ne se calcule pas simplement grâce à des statistiques sur les revenus et les prix. Les big-box stores ne sont pas vraiment jolis, d'où leur nom [grosses boîtes]. Si leur croissance explosive se poursuit au cours des 20 prochaines années, les Américains considéreront-ils un jour leur prolifération comme un exemple spectaculaire de l'échec des modèles de croissance équilibrée à l'échelle régionale ?

Certes, beaucoup d'Européens, et d'autres, considèreraient la simulation vidéo de Holmes reproduisant le développement de Wal-Mart comme un film d'horreur. Les Français ont peut-être inventé l'hypermarché, ancêtre du magasin big box, mais ils n'ont jamais eu l'intention de le laisser se développer sans contrôle. La grande question pour les Européens consiste à savoir s'ils peuvent trouver des moyens d'exploiter certains des gains d'efficacité incarnés par le modèle Wal-Mart sans pour autant se laisser dépasser par lui.

Pour les Américains, existe en outre la question de savoir quoi faire lorsque le phénomène des big-box stores s'essoufflera. Si une si grande partie de la productivité américaine se réduit vraiment à laisser Wal-Mart et ses cousins les supermarchés poursuivre leur expansion démente, que se passera-t-il lorsque cette source de croissance s'épuisera ? L'économie américaine dispose de nombreuses autres forces, notamment son système financier supérieur et sa position dominante en biens d'équipement de haute technologie, mais le fait est que l'avantage des États-Unis dans ce secteur n'a pas pour l'instant été aussi frappant que le phénomène Wal-Mart. Il est curieux de voir combien de gens semblent penser que les USA vont connaître une croissance plus rapide que l'Europe et le Japon au cours des dix prochaines années,simplement parce que c'est ce qui s'est passé au cours des dix dernières années.

Wal-Mart et consorts constituent un élément central de notre époque de mondialisation moderne. Ils ne sont pas vraiment l'épidémie que leur schéma explosif de développement laisse apparaître, mais leur émergence n'est pas non plus totalement bénigne. Ceux qui désirent imiter les tendances de la productivité américaine doivent se demander aujourd'hui ce qu'ils penseraient de l'apparition de magasins en forme de boîtes ponctuant leur campagne, tirant les salaires vers le bas et causant la mort des petits détaillants. Les Américains, quant à eux, doivent réfléchir à l'endroit où se situe le juste équilibre entre esthétique, communauté et petits prix.


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